Jargon
jeudi 22 mars 2007
Notre belle langue française m’a toujours semblé se suffire à elle-même,
et parfaitement capable d’exprimer tout ce qui doit l’être. Apparemment,
la société moderne a de plus en plus besoin d’artifices, d’expressions
dont l’emploi vous garantit d’être toujours “dans le coup”
Voici
juste quelques délicatesses relevées au jour le jour...
“en termes de”
L’expression, “en termes de”, est utilisée sans modération aucune et
bien souvent sans grande raison apparente. Quelques exemples, bien
réels, glanés ici et là:
- Dans la bouche d’un
responsable (il se reconnaîtra sûrement) rendant compte d’une enquête:
“En
terme de réponses, il y a des OUI et des NON”.
- Le même
responsable:
“Il faudrait qu’on se voie pour discuter en termes de
redéfinition des tâches”.
- Le même, encore:
“En
terme de coût, ça va être cher”.
- Dans une
revue technique considérée comme sérieuse:
“Pour
autant, les résultats en terme de produits sont contrastés.”
-
Une sociologue:
“En terme de santé publique, ce n'est pas tant la
consommation d'alcool en soi qui occasionne des problèmes”
-
Un consultant:
“J’accompagne les choix d’architectures dans les
entreprises clientes en termes de composants logiciels”.
- Un
internaute intéressé par un logiciel :
“ Le logiciel
trucmuche nécessite une bonne configuration en terme de puissance et de
rapidité."
La liste pourrait être vraiment longue, mais à quoi bon ? Tout le monde
peut voir que cette expression n’apporte pas de simplification.
Prenons
la première citation :
12 mots pour exprimer ce qui aurait pu
être dit en quatre : “Les avis sont partagés”, et de manière beaucoup
moins correcte.
Ca laisse rêveur, non ? Mais bon, faut bien trouver
un moyen nouveau d’être classieux..
Le “On demand”
Bien évidemment, l’expression française correspondante, “à la demande”
ne convient pas, elle n’a pas le même “impact”. Et puis, “on demand”
fait neuf, voire innovant, alors que l’expression “à la demande” a un
relent de déjà vu inacceptable. Comment voulez-vous convaincre un client
éventuel en utilisant un vieux concept ?
Quand j’était petit, on
allait voir le cordonnier du coin qui adaptait nos chaussures à nos
pieds, le boucher coupait le morceau de viande de la taille exacte qui
nous convenait, même le boulanger coupait un morceau de pain qu’il
pesait ensuite ou détaillait la levure pour la patisserie du dimanche.
Il ne s’agissait pas alors de faire du “business on demand”, mais
simplement de répondre à la demande du client. C’était très satisfaisant
pour le client, et valorisant pour l’artisan.
Il est déplorable
de voir qu’à l’heure actuelle, une nouvelle expression ne définit pas un
nouveau concept, mais simplement une nouvelle manière d’abuser le
client. (Bien sûr, c’est un peu plus cher, mais c’est “on demand”...).
A
tout prix faire gober au client qu’on se met en quatre, voire beaucoup
plus, pour satisfaire ses moindres caprices, et derrière ça lui fournir
ce qu’on a en stock, en le persuadant que c’est exactement ce dont il a
besoin, sous l’étiquette “on demand”, voilà le dernier chic.
Les “Solutions”
Ne me dites pas que vous n’avez pas de problème, ça n’est pas possible.
Si autant de fournisseurs de (quoi, au juste ???) vous affirment qu’ils
ont votre solution, c’est que vous avez un problème. D’ailleurs, comme
dit la chanson, “Something’s not right if there is nothing wrong”.
Il
faut être gonflé pour se permettre de dire “nous avons la solution”,
comme ça, d’emblée, mais ça ne manque pas: “truc-bidule, la solution à
vos problèmes de chose”, ou “vous avez un problème, nous avons la
solution” sont des slogans qu’on trouve au moins une fois (plutôt
plusieurs) dans tout canard informatique qui se respecte (...peut-être
pas tant que ça, après tout...).
Le pire de l’affaire est
que ces fourniseurs de solutions dépensent énormément d’énergie
simplement pour vous convaincre qu’effectivement, VOUS avez ce problème.
Ne cherchez pas à prouver le contraire, c’est peine perdue. Si vous ne
l’avez pas encore, c’est juste une quetion de temps, et vous l’aurez
forcément. Alors, pourquoi attendre ? Achetez le solution, ainsi vous ne
serez pas importuné par ce problème, vous ne le verrez même pas, et vous
pourrez envisager l’avenir sereinement ...(ceci dit, rien ne vous assure
que vous auriez rencontré ledit problème)
Le “Cordialement”
Parlons un peu du “cordialement”, maintenant. Ce mot est supposé
traduire que ce qui est ou fut fait l’est ou le fut avec le cœur.
On
le trouve de nos jours à la fin de 80% des mails reçus soit de
collègues, soit d’entreprises.
Les collègues, tout
d’abord. Je puis affirmer que je reçois des “cordialement” (individuels,
bien entendu, autrement ma remarque perd tout son intérêt) de personnes
ne pouvant absolument ps m’encadrer, et je sais fort bien que ce qui est
fait, dans ce cas-là, l’est uniquement par nécessité ou obligation. Que
veut dire alors ce “cordialement” ?
En ce qui concerne
les entreprises, désespérément à la recherche d’un partenariat, ou plus
simplement d’Euros sonnants et trébuchants, “cordialement” est-il sensé
vous faire croire qu’on vous aime, et donc vous attendrir suffisamment
pour influencer vos investissements ? Très probablement.
En
fait, ce mot est devenu un incontournable de l’indifférence compassée
dans la relation.
Les sigles et le pseudo-savoir
Sigle avant toute chose, sigle encore et toujours... Ouvrons une revue
informatique, disons dans le style “parlons du monde”.
Sur
la première page, on relève, en vrac : CXP, AFAI, SAP, LVMH, PCIS, PGI,
GRRC, GED, SIG, SSII, DSI, VPC, j’en passe...
Page suivante, on
apprend avec intérêt que les décisions relevaient par le passé à 80% des
DSI et à 20% des DAF, et que les SSII ont du mal à se différencier
auprès des DSI.
Passons les pages où il est question d’une
tentative d’OPA d’une SSII sur une PME, de l’ERP miracle qui gère
efficacement les contraintes des fournisseurs de grande distribution
(RFA, DLC, MDD, FIFO, GPA, EAN, EDI), ou du DSI qui prône le
redéploiement offshore, et le regroupement de knowledge management, RH,
PGI et benchmarking.
Ensuite vient un article sur les risques
encourus lors de l’installation d’un PGI pour la gestion fiscale d’une
PME-PMI, nécessitant (bien évidemment...) l’utilisation d’une RAO
permettant de ménager la GRC. Sans oublier que ladite GRC s’enrichit de
fonctions décisionnelles, fait appel à des outils d’EAI, et revient au
pragmatisme.
Il semble que cet imbuvable jargon remplisse de joie tout le monde, à en
croire les photos de ces responsables souriants et amènes, sûrs d’eux,
et pour qui tout va très bien (non, pas possible, sinon à quoi
serviraient les “solutions”?), qui parsèment ce genre de revues...
Peut-être que la parfaite compréhension de ce charabia vous confère une
supériorité indiscutable ? Ou bien ces sourires sont-ils l’ultime
rempart contre la désespérance la plus totale devant l’insipidité de ce
galimatias ?
En fait, il suffit d’utiliser suffisamment des ces
termes à peu près dans le contexte pour paraître la plupart du temps
cultivé en profondeur, dans un monde où les personnes qui vous entourent
n’en savent guère plus que vous, et où, si vous vous trompez, les autres
n’oseront pas le relever de peur d’afficher la méconnaissance d’un
nouveau concept...
Bref, l’utilisation outrancière de sigles de tout
acabit vous plonge dans un monde moyennageux, où l’utilisation du latin,
même à mauvais escient, représentait le seul “savoir” du médecin et lui
conférait tout son pouvoir.
J’ai entendu récemment quelqu’un me
dire le plus sérieusement du monde : “Moi, j’étais un DSI, mais à la
suite d’un différend avec le DAF qui se plaignait de ma mauvaise GRC,
j’ai décidé de créer ma propre SSII, avec une spécialisation en GED”. Ca
a le mérite d’être clair, ça, non ?
Et surtout,
ne vous avisez pas de poser la moindre question pour tenter d’éclairer
votre lanterne, vous risquez d’être pris au mieux pour un ignorant, au
pire pour un vicieux tentant de prouver que votre interlocuteur en est
un...